Article original datant du 03/09/21
La grande pénurie de puces informatiques de 2021 va probablement s’aggraver avant de s’améliorer. Cette conclusion a été tirée après une brève étude et un examen anecdotique.
De plus, si les confinements du COVID ont pu initialement déclencher la pénurie, plusieurs décennies de décisions prises avec une vision à court terme et de tensions géopolitiques latentes font qu’il s’agit bien plus que de réparer quelques maillons cassés de la chaîne d’approvisionnement. Voici pourquoi…
Les deux plus grandes entreprises de puces au monde sont TSMC de Taiwan et Samsung Electronics de Corée du Sud. À elles deux, ces entreprises asiatiques contrôlent plus de 70 % du marché de la fabrication de semi-conducteurs.
Les États-Unis, qui étaient autrefois un leader, sont à la traîne dans la fabrication de puces après des changements majeurs – et sans vision à long terme – dans les modèles commerciaux de l’industrie des semi-conducteurs au cours des 15 dernières années. Mais cela pourrait changer… à condition que le gouvernement américain parvienne à faire plier le marché des semi-conducteurs pour mieux répondre à sa volonté.
La pénurie mondiale de semi-conducteurs et les tensions géopolitiques avec la Chine ont maintenant incité Washington à examiner de près la chaîne d’approvisionnement. Tout à coup, le gouvernement américain n’apprécie pas la concentration de la fabrication des semi-conducteurs entre les mains d’un petit nombre d’entreprises asiatiques. Il y a maintenant une pression pour ramener la fabrication sur le sol américain.
Le gouvernement américain a affecté des milliards de dollars et envisagerait des alliances stratégiques avec d’autres pays. Le gouvernement américain a toutefois un bilan terrible en matière d’intervention économique. En général, son approche consiste à jeter des liasses de faux billets sur un problème et à espérer qu’il disparaisse. Une telle approche est vouée à l’échec.
Pour comprendre la géopolitique des semi-conducteurs, savoir quels sont les pays dominants et pourquoi les États-Unis tentent de stimuler leur industrie nationale, il faut comprendre la chaîne d’approvisionnement et les modèles commerciaux. Des entreprises comme Intel sont des fabricants de dispositifs intégrés (IDM). Cela signifie qu’elles conçoivent et fabriquent leurs propres puces.
La plupart des autres entreprises américaines de semi-conducteurs sont considérées comme des fabless (contraction de « fabrication » et de « less »: sans usine, sans unité de fabrication, NdT) : elles conçoivent des puces mais sous-traitent la fabrication à des manufactures. Elles sous-traitent la fabrication des puces à TSMC à Taiwan et à Samsung Electronics en Corée du Sud.
Complexité de la chaîne d’approvisionnement
Au cours des 15 dernières années, les entreprises américaines et européennes se sont tournées vers ce modèle sans usine. TSMC et Samsung en ont profité pour investir massivement dans des technologies de fabrication de pointe. Ainsi, si une entreprise comme Apple veut faire produire la dernière puce pour son iPhone, elle doit se tourner vers TSMC pour le faire.
Selon les données de Trendforce, TSMC détient 55 % des parts du marché et Samsung 18 %. Taïwan et la Corée du Sud détiennent collectivement 81 % du marché mondial. Ils dominent essentiellement le marché. La quasi-totalité de la production technologique dépend de ces deux pays, et principalement de deux entreprises… TSMC et Samsung.
La Bank of America a récemment résumé le remarquable changement qui s’est produit :
« En 2001, 30 entreprises fabriquaient à la pointe de la technologie ; cependant, comme la fabrication de semi-conducteurs est devenue de plus en plus coûteuse et difficile, ce nombre est tombé à seulement 3 entreprises. »
Ces trois entreprises sont TSMC, Samsung et Intel. Cependant, le processus de fabrication d’Intel a également pris du retard par rapport à celui de TSMC et Samsung. Neil Campling, responsable de la technologie chez Mirabaud Securities, précise comment cela s’est produit :
« Taïwan et la Corée du Sud sont devenus les leaders de la fabrication de plaquettes, qui nécessite des investissements massifs en capital ; et une partie de leur succès au cours des 20 dernières années est due aux politiques gouvernementales de soutien et à l’accès à une main-d’œuvre qualifiée. »
Pourtant, la chaîne d’approvisionnement est encore plus complexe.
Si TSMC et Samsung sont les principaux fabricants de semi-conducteurs, ils dépendent encore largement d’équipements et de machines provenant des États-Unis, d’Europe et du Japon. Les entreprises qui fabriquent les outils nécessaires aux fonderies sont connues sous le nom de fournisseurs d’équipements pour semi-conducteurs ou « semicap » en abrégé.
Les cinq principaux fournisseurs d’équipements semi-conducteurs représentent près de 70 % du marché. Trois de ces cinq entreprises sont américaines, une européenne et une japonaise.
Toutefois, la société ASML, basée aux Pays-Bas, est la seule entreprise au monde capable de fabriquer de l’ultraviolet extrême (EUV), qui est nécessaire à la fabrication des puces les plus avancées, notamment celles fabriquées par TSMC et Samsung.
La grande pénurie de puces informatiques de 2021 ne fait que s’intensifier
Une partie de la politique américaine consiste à former des alliances. En avril, le Nikkei a rapporté que les États-Unis et le Japon allaient coopérer sur les chaînes d’approvisionnement en composants critiques tels que les semi-conducteurs. Les deux parties s’efforceront de mettre en place un système dans lequel la production ne sera pas concentrée dans des régions spécifiques comme Taïwan.
Les États-Unis s’efforcent également de limiter l’influence de la Chine sur le développement des semi-conducteurs. La Chine a investi dans son industrie des semi-conducteurs au cours des dernières années. Par exemple, SMIC est la plus grande fonderie chinoise, et un concurrent de TSMC et Samsung. Mais même avec ces investissements importants, la technologie de SMIC a plusieurs années de retard sur celle de ses rivaux taïwanais et sud-coréens.
Les sanctions et les actions des États-Unis cherchent à freiner davantage la Chine. L’année dernière, Washington a placé SMIC sur une liste noire connue sous le nom de « Liste des entités ». Cette liste interdit aux entreprises américaines d’exporter certaines technologies à SMIC. Environ 80 % ou plus des équipements de SMIC proviennent de fournisseurs américains.
Le gouvernement américain a aussi récemment fait pression sur le gouvernement néerlandais pour qu’il arrête la vente d’une machine ASML à SMIC. Cette machine est nécessaire pour fabriquer les puces les plus avant-gardistes. Cette machine n’a toujours pas été expédiée en Chine. Sans équipement des États-Unis ou de ses alliés, il est impossible pour la Chine de fabriquer des puces de pointe.
La Chine, cependant, pourrait avoir une autre option. Si le pays ne peut pas obtenir la technologie nécessaire pour fabriquer les puces les plus avancées par des moyens économiques, la promesse de la force est récemment devenue beaucoup plus attrayante.
Cette semaine, le ministère taïwanais de la défense nationale a présenté son rapport annuel aux législateurs. Le rapport prévient que la Chine pourrait « paralyser » les défenses aériennes et maritimes de Taïwan et ses systèmes de contre-attaque par des « attaques électroniques douces et dures ». Et comme l’a noté ZeroHedge :
« Les probabilités d’une invasion augmentant, la Chine pourrait tenter de s’emparer de Taïwan par la force au milieu de la sortie désorganisée de l’Amérique d’Afghanistan, qui a terni le prestige des États-Unis. »
Si une telle invasion réussissait, la Chine communiste aurait le contrôle de facto de TSMC.
Dans l’intervalle, comme le rapporte le Wall Street Journal, la production de puces informatiques pourrait être retardée en raison du manque de composants en céramique. Les appareils électroniques modernes, comme les smartphones, comprennent des milliers de minuscules morceaux de céramique pour contrôler le flux d’électricité. Les véhicules électroniques comportent plus de 10 000 morceaux de céramique.
Ils sont appelés condensateurs céramiques multicouches (MLCC) et, comme les semi-conducteurs, leur fabrication est concentrée dans quelques entreprises asiatiques… et les fermetures d’usines liées au COVID pourraient retarder leur production.
Murata Manufacturing, qui représente 40 % du marché mondial, a fermé une importante usine de CCML à Fukui au Japon pendant la dernière semaine d’août en raison d’une épidémie de COVID. Taiyo Yuden, un autre grand fabricant d’embouts, a suspendu certaines de ses activités dans son usine de Malaisie en raison d’infections chez ses employés.
Nous supposons que la pénurie de composants de céramique se résorbera d’elle-même en temps voulu. Mais, quoi qu’il en soit, la grande pénurie de puces informatiques de 2021 ne fait que s’intensifier. C’est une histoire qui mérite d’être suivie de près. Non seulement pour ses implications économiques et géopolitiques. Mais aussi pour les éventuelles opportunités d’investissement.