Celui-ci est beaucoup plus complexe que la façon dont il est présenté par le gouvernement canadien. En tant qu’Ukrainien originaire de l’Est du pays, j’aimerais apporter un autre point de vue. #polcan
C’est très réducteur de présenter le conflit comme étant un simple affrontement entre Ukrainiens et Russes. Une généralisation est constamment présentée dans les médias qui affirme que les Ukrainiens penseraient tous de la même façon et seraient tous ardemment antirusses.
L’Ukraine est un pays divisé de 41 millions d’habitants. Il y a une division régionale. L’Ouest et le Centre du pays sont plutôt pro-occidental/pro-UE et majoritairement ukrainophones. Cependant, l’Est et le Sud de l’Ukraine sont plutôt pro-russe et majoritairement russophones.
Depuis 1991, la date de l’indépendance de l’Ukraine, il y a des débats concernant la position de la langue russe dans le pays et les relations que l’Ukraine devrait avoir avec la Russie. Ces deux sujets sont d’ailleurs ce qui différencie les partis politiques entre eux.
Alors que dans la plupart des pays du monde, c’est l’axe gauche/droite qui permet de différencier les partis politiques entre eux ou au Québec l’axe souverainiste/fédéraliste, en Ukraine, ça serait l’axe pro-Union européenne/pro-Russie.
Par pro-Russie, cela ne signifie pas que les Ukrainiens partageant ce point de vue veulent rejoindre la Russie. Cela signifie tout simplement que ces gens souhaitent garder de bonnes relations avec la Russie dans la sphère politique, économique, culturelle, etc.
Cette division dans le pays est très bien illustrée par l’élection présidentielle de 2010. Sur cette image qui présente les résultats obtenus par le candidat pro-russe, on peut constater une grande disparité des pourcentages entre le Sud-Est et le Centre-Ouest du pays.
De même, alors que le candidat pro-russe a dominé dans le Sud-Est du pays, la candidate pro-UE a dominé dans le Centre-Ouest.
C’est finalement le candidat pro-russe qui a gagné en 2010, avec 48,95% des voix, contre 45,47% pour son adversaire pro-UE. Il restera au pouvoir jusqu’en 2014, l’année où la révolution de l’Euromaidan l’a renversé.
Les manifestations de l’Euromaidan commencèrent en novembre 2013, lorsque le Président ukrainien refusa de signer un accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Des citoyens pro-UE débutèrent alors des manifestations à Kiev contre le pouvoir en place.
Les manifestants réclamaient la signature de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne ainsi que le départ du Président pro-russe, Viktor Ianoukovitch.
Les manifestations pro-UE ne faisaient pas l’unanimité. Des sondages indiquaient un support de 49% vs une opposition de 45%. D’autres indiquaient un support de 45% vs une opposition de 50%. Bref, c’était un événement polarisant où l’opinion publique était divisée.
Encore une fois, l’opinion publique était divisée selon les régions du pays. 84% de l’Ouest et 66% du Centre du pays supportaient les manifestations, alors que seulement 33% du Sud et 13% de l’Est les supportaient.
Les pro-UE étaient évidemment des manifestants sincères qui croyaient en leurs idées. Je ne doute pas de leurs convictions. Ce sont des citoyens qui avaient à cœur le bien-être de l’Ukraine et pensaient que rejoindre le camp occidental serait la meilleure chose pour le pays.
Cependant, on ne peut aborder ces événements sans mentionner l’ingérence des États-Unis. Ils supportaient fortement les manifestations et une haute-fonctionnaire de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, est même venue sur place pour exprimer son soutien.
Pourquoi un tel soutien? Parce que l’Ukraine était un allié essentiel pour la Russie. Les États-Unis voulaient tout faire pour sortir le pays de l’orbite russe dans une optique d’affrontement géopolitique. Un gouvernement ukrainien antirusse serait dommageable pour la Russie.
Les affrontements entre les manifestants pro-UE et les policiers devinrent de plus en plus violents, ce qui poussa le Président pro-russe à fuir le pays. Les partisans de l’UE ont alors mis en place un gouvernement pro-UE pour le remplacer. Photo avant/après du centre de Kiev.
Le nouveau gouvernement ukrainien a alors commencé à exprimer son hostilité face à la Russie et sa volonté de se rapprocher avec l’Occident. Évidemment, cela n’a pas plus au Sud-Est du pays ainsi qu’à la Crimée, qui ont à leur tour commencé à exprimer leur mécontentement.
Voyant un allié indispensable partir, la Russie en a profité pour sauver les meubles de sa politique étrangère et est intervenue en Crimée, région majoritairement russe, en l’annexant, afin de conserver sa base navale à Sébastopol, essentielle pour avoir accès à la mer Noire.
Alors pourquoi ce conflit est présenté au Canada sous un seul angle? Car la majorité des Ukrainiens du Canada sont originaires de l’Ouest du pays et ont une forte influence sur la politique étrangère canadienne. Chrystia Freeland en est un exemple.
Malgré les divisions en Ukraine, un seul point de vue est présenté, celui comme quoi tous les Ukrainiens seraient fortement hostiles à la Russie. Il ne faut pas oublier qu’il existe une partie importante de la population en désaccord avec ce raisonnement.
Bien qu’étant en majorité ethniquement Ukrainiens et attachés à l’Ukraine,^ les habitants du Sud-Est du pays se sentent culturellement très proches des Russes. Ils ne veulent pas servir de pions dans une lutte politique contre la Russie.
Ils veulent éviter que l’Ukraine devienne une énième pièce dans un affrontement géopolitique entre Russes et Américains. Ils ne veulent pas être pris dans un conflit qui aurait pu être évité.
La Russie n’est évidemment pas innocente dans cette histoire et il y a beaucoup de choses qu’on peut lui reprocher. Elle participe aussi au jeu de pouvoir afin de garder une sphère d’influence. Cela est déjà abondamment abordé dans les médias.
Alors, que devrait faire l’Ukraine? Je suis d’avis qu’un pays aussi divisé entre deux puissances devrait adopter une position de neutralité au lieu de se soumettre à l’une ou l’autre. De plus, donner plus d’autonomie aux régions serait important pour éviter des tensions.