Une attaque en règle contre la liberté d’expression : Les dessous du projet de loi libéral visant à réglementer l’Internet

Article original datant du 29/04/21

Le projet de loi C-10 propose de soumettre des pans entiers de l’activité en ligne canadienne à la surveillance de contenu par les organismes de réglementation de la radiodiffusion, notamment les podcasts, les vidéos en ligne et les sites Web.

Le ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault, le champion du projet de loi C-10, photographié en février 2020.

Après plus de 25 ans pendant lesquels les gouvernements canadiens ont adopté une approche non interventionniste de l’activité en ligne, le gouvernement de Justin Trudeau fait maintenant avancer le projet de loi C-10, une loi qui soumettrait les Canadiens à l’Internet le plus réglementé du monde libre.

Bien qu’il ait été présenté comme un moyen d’étendre les dispositions relatives au contenu canadien à la sphère en ligne, les pouvoirs du projet de loi C-10 ont été considérablement étendus en comité, y compris une disposition introduite la semaine dernière qui pourrait permettre au gouvernement fédéral d’ordonner la suppression de tout téléchargement sur Facebook, YouTube, Instagram ou Twitter effectué par un Canadien. Dans ses commentaires cette semaine, le chef du NPD (Nouveau Parti démocratique), Jagmeet Singh, a indiqué que son parti était prêt à fournir les votes nécessaires à l’adoption du C-10, considérant le projet de loi comme un moyen de combattre les propos haineux en ligne.

L’état actuel de l’Internet canadien est loin d’être un far west : même un message anonyme peut vous valoir des poursuites ou une peine d’emprisonnement s’il est diffamatoire, s’il porte atteinte au droit d’auteur, s’il viole les lois canadiennes sur les discours haineux ou s’il transmet du contenu illégal comme de la pornographie infantile. Mais le projet de loi C-10 propose de soumettre des pans entiers du monde en ligne canadien à la surveillance de contenu par les organismes de réglementation de la radiodiffusion, y compris les podcasts, les vidéos en ligne et même le site Web sur lequel vous êtes en train de lire cet article.

L’ancien commissaire du CRTC, (Canadian Radio-television and Telecommunications Commission – Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, NdT) Peter Menzies, a déclaré dans une interview que le projet de loi C-10 « ne se contente pas de porter atteinte à la liberté d’expression, il constitue une attaque en règle contre celle-ci et, à travers elle, contre les fondements de la démocratie ».

Ci-dessous, un regard sur ce qui est en train de devenir l’une des tentatives les plus complètes en temps de paix pour redéfinir la liberté d’expression au Canada.

Ottawa aurait le pouvoir de contrôler les médias sociaux

Le projet de texte du projet de loi C-10 comprenait spécifiquement une clause d’exemption des médias sociaux. Alors que le gouvernement cherchait à réglementer l’Internet, il ne voulait pas s’occuper de tout ce qui était  » téléchargé sur une entreprise en ligne qui fournit un service de médias sociaux par un utilisateur de ce service « .

En effet, le ministre du Patrimoine Steven Guilbeault a présenté à plusieurs reprises le projet de loi C-10 comme un moyen de réglementer les services de diffusion en continu tels que Netflix et Crave tout en laissant les médias sociaux tranquilles. Il a déclaré à la Chambre des communes, le mois dernier, que  » nous ne sommes pas particulièrement intéressés par … le fait que mon grand-oncle publie des photos de ses chats « . Mais lors d’une réunion du comité du patrimoine de la Chambre des communes vendredi, la clause sur les médias sociaux a été supprimée. Interrogé sur ce changement, M. Guilbeault a déclaré qu’il avait toujours été prévu de réglementer les « plateformes en ligne qui agissent comme des diffuseurs ».

Ce que cette suppression signifie, c’est que chaque Canadien qui publie sur Instagram, Facebook, TikTok, Twitter ou YouTube pourrait être traité comme un radiodiffuseur soumis à la surveillance et aux sanctions du CRTC. Les utilisateurs eux-mêmes ne seront pas nécessairement soumis à la réglementation directe du CRTC, mais les fournisseurs de médias sociaux devront répondre de chaque message publié sur leurs plateformes comme s’il s’agissait d’une émission de télévision ou de radio.

C’est peut-être le bon moment pour mentionner que les membres du cabinet libéral actuel ont ouvertement flirté avec l’idée de donner au gouvernement fédéral le pouvoir de contrôler les médias sociaux. Dans un tweet de septembre, la ministre de l’Infrastructure Catherine McKenna a déclaré que si les entreprises de médias sociaux  » ne peuvent pas se réglementer elles-mêmes, les gouvernements le feront « . Guilbeault, le principal défenseur du projet de loi C-10, a parlé ouvertement d’un organisme de réglementation fédéral qui pourrait ordonner le retrait de tout message sur les médias sociaux qu’il juge haineux ou propagandiste.

@cathmckenna
Je pense que nous pouvons faire beaucoup de choses, mais les entreprises de médias sociaux elles-mêmes doivent s’impliquer. Nous n’avons pas à tout réglementer, mais si vous ne pouvez pas vous réglementer vous-mêmes, les gouvernements le feront. @s_guilbeault

@MartinPatriquin
Le @GouvQc dispose d’une salle de crise de 12 personnes qui traque la haine, la désinformation et les menaces contre le premier ministre @francoislegault publiées sur @facebook et ailleurs #polqc

via @the_logic

https://t.co/zeBUiogSxO?amp=1

« Le processus de retrait de contenu comprend l’envoi de captures d’écran – qu’il s’agisse de missives écrites, de vidéos inspirées ou de GIFS – aux bureaux de Facebook Canada à Ottawa et à Toronto, puis un suivi avec l’entreprise si le contenu n’est pas retiré. Il s’agit d’une opération fragmentaire, semblable à l’arrachage des mauvaises herbes, et, selon la source, la réponse de Facebook a été mitigée. « Ils coopèrent, mais c’est difficile, car Facebook n’aime pas intervenir ».

En effet, le C-10 a été acclamé par ses partisans, notamment pour son pouvoir de réduire au silence les voix en ligne. « Il est maintenant temps d’en finir avec Jeff Ballingall (le fondateur d’Ontario Proud), Ontario Proud, Canada Proud et le reste de leur espèce », peut-on lire dans un récent tweet pro-C-10 du compte Twitter anticonservateur The Diefenbaker Project.

Nouveauté, les jeux vidéo et même les applications pourraient être soumis à de nouveaux niveaux de contrôle gouvernemental

Lorsqu’il a présenté le projet de loi C-10 en novembre, M. Guilbeault a assuré à la Chambre des communes que  » le contenu généré par les utilisateurs, le contenu des nouvelles et les jeux vidéo ne seraient pas soumis à la nouvelle réglementation « . Le virage à 180 degrés de Guilbeault sur les médias sociaux est couvert ci-dessus, mais même une lecture superficielle de la législation révèle que les nouvelles et les jeux vidéo sont absolument dans la portée du C-10.

Le projet de loi C-10 s’engage essentiellement à réglementer le contenu en ligne comme une « émission ». Et selon la Loi « Broadcasting Act » sur la radiodiffusion, une « émission » est « des sons ou des images visuelles, ou une combinaison de sons et d’images visuelles, qui sont destinés à informer, à éclairer ou à divertir ». Vous êtes tiré d’affaire si votre contenu consiste « principalement en du texte alphanumérique », mais si votre site Web comporte des sons et des images visuelles, vous serez désormais une « émission » selon le projet de loi C-10.

En gros, si votre site Web canadien n’est pas un blog GeoCities en texte seul datant de 1996, le projet de loi C-10 pense qu’il s’agit d’un programme méritant d’être réglementé par le CRTC. Cela couvre les sites d’information, les podcasts, les blogs, les sites des partis politiques ou des groupes d’activistes et même les sites étrangers qui pourraient être vus au Canada. Lors d’une réunion lundi du comité du Patrimoine canadien, les applications pour smartphones ont également été jetées dans la rubrique du projet de loi C-10, bien que le texte complet n’ait pas été rendu public.

Celui-ci ne serait probablement pas concerné.

Page d’accueil de Danny

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Ce n’est pas de la censure, en soi, mais c’en est proche.

L’adoption du projet de loi C-10 ne soumettrait pas les créateurs de contenu canadien à un régime de censure descendant de type chinois. Après tout, peu de gens soutiendraient qu’un régime de censure s’applique aux nouvelles sur les chaînes du câble ou à la radio canadiennes, qui sont toutes deux soumises à la réglementation du CRTC. Guilbeault a affirmé que le projet de loi C-10 ne vise qu’à réglementer les actions des  » géants du Web « , et c’est peut-être effectivement son intention.

Mais l’effet ultime du projet de loi C-10 serait de plonger des domaines entiers de médias indépendants – des YouTubers aux podcasters en passant par les blogueurs – dans un environnement où ils pourraient être confrontés à la fois à une exigence d’enregistrement gouvernemental et à un certain nombre de restrictions de contenu du CRTC établies sans qu’il soit nécessaire de recourir à une législation ou à une surveillance supplémentaire. Comme l’indique la FAQ officielle du projet de loi, ce n’est qu’après l’entrée en vigueur de la loi que le CRTC décidera « de la manière dont il devrait mettre en œuvre les nouveaux pouvoirs conférés par le projet de loi ».

L’une des contraintes les plus importantes pour les radiodiffuseurs réglementés par le CRTC est l’obligation d’offrir un minimum de contenu canadien à la télévision ou à la radio. C’est pourquoi Patio Lanterns obtient un nombre disproportionné d’écoutes à la radio FM et que même les chaînes pornographiques québécoises sont tenues par la loi de diffuser au moins 8,5 heures de contenu érotique canadien par jour. Il est également interdit aux radiodiffuseurs canadiens de diffuser du « langage obscène, indécent ou profane ».

Un extrait de The Handmaid’s Tale, une adaptation du roman à succès de Margaret Atwood, qui est aujourd’hui l’une des exportations culturelles canadiennes les plus importantes au monde. Cependant, selon la comptabilité du CRTC, elle ne peut être qualifiée de « contenu canadien ».

Avec l’adoption du projet de loi C-10, il reviendrait aux organismes de réglementation de décider quels domaines de l’activité en ligne sont soumis à ces restrictions en matière de contenu canadien, et même ce que ces restrictions pourraient être.

Par exemple, un groupe appelé Alliance for Equity in the Music Industry demande actuellement au gouvernement fédéral d’inclure des dispositions dans le projet de loi C-10 qui obligeraient les créateurs canadiens à soumettre des données fondées sur la race et à être soumis à l’examen d’un responsable de l’équité. Bien que le groupe cherche à faire ajouter ces dispositions directement dans le texte du projet de loi, cela pourrait tout aussi bien être accompli par une directive du ministre du Patrimoine canadien. L’introduction initiale en 1970 de la réglementation sur le contenu canadien, par exemple, n’a pas nécessité de nouvelle législation, mais a été imposée par Pierre Juneau, alors directeur du CRTC.

Les conséquences involontaires pourraient être massives

Michael Geist, professeur à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique, a été l’un des critiques les plus persistants du projet de loi C-10, le qualifiant de « dangereux » et d' »inexcusable ».

Dans un article publié en fpublié en févrieur un blog, M. Geist a fait remarquer qu’en plus de porter atteinte à la liberté d’expression, le projet de loi C-10 pourrait avoir des répercussions bien au-delà des attentes de ses rédacteurs. À titre d’exemple, M. Geist cite l’expérience de Facebook en Australie. Au début de l’année, l’Australie a adopté une loi exigeant que le géant des médias sociaux indemnise les entreprises de presse lorsqu’un lien est partagé sur sa plateforme. En réponse, Facebook a tout simplement interdit le partage de contenu d’actualité par les utilisateurs australiens, ne le rétablissant qu’après modification de la législation australienne.

La page Facebook Inc. du Sydney Morning Herald a été photographiée le 18 février, après que le géant du web a réagi à la nouvelle législation australienne en interdisant le partage de contenus d’actualité.

Les sanctions prévues par le projet de loi C-10 sont substantielles. Pour les sociétés, une première infraction peut entraîner des pénalités allant jusqu’à 10 millions de dollars, tandis que les infractions subséquentes pourraient atteindre 15 millions de dollars chacune. Si TikTok, Twitter, Facebook et YouTube se retrouvent soudainement dans une situation où leurs millions d’utilisateurs doivent suivre les mêmes règles qu’une chaîne du câble ou une station de radio canadienne, il n’est pas déraisonnable de penser qu’ils pourraient suivre l’exemple de Facebook et choisir l’option nucléaire. Comme Google, propriétaire de YouTube, l’a dit à Postmedia dans une déclaration, « nous restons préoccupés par les conséquences involontaires, en particulier en ce qui concerne les effets potentiels sur les droits à l’expression des Canadiens. »

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